Moulins de la rive saintongeaise de l'estuaire de la Gironde

France > Nouvelle-Aquitaine

Une terre de vent et de moulins

La présence de moulins à vent le long de la rive saintongeaise de l'estuaire est attestée depuis au moins le 16e siècle, en particulier par des cartes de navigation puisque ces moulins faisaient alors partie des repères visuels utilisés par les marins pour se guider sur les eaux tumultueuses de l'estuaire. Les moulins de la corniche de Meschers figurent ainsi sur la carte de l'estuaire par Jean Alphonse, en 1544, puis sur les cartes de la région établies vers 1700 par l'ingénieur Claude Masse. Tel est aussi le cas par exemple pour le moulin de Vessac, à Saint-Palais-sur-Mer.

Plus de la moitié des moulins à vent recensés semblent remonter au 18e siècle, voire au 17e. Parfois, une date inscrite confirme cette estimation : 1753 et 1754 au moulin de Liboulas, à Arces, 1777 au moulin de Bois-Rond, à Saint-Thomas-de-Cônac. La datation se fonde le plus souvent sur les caractères architecturaux des moulins : jusqu'à la fin du 18e siècle, percées de baies à encadrement chanfreiné (par exemple au moulin des Coutures, à Arces-sur-Gironde), voire de portes en plein cintre (comme au moulin de Vessac), leurs tourelles sont construites en moellons, et non en pierre de taille.

La manière de construire les tourelles de moulins change radicalement à la fin du 18e siècle et surtout dans les premières décennies du 19e. A cette époque, de nombreux meuniers s'enrichissent, faisant souvent partie de la petite notablité rurale qui profite de la Révolution, en particulier de la vente des biens nationaux, pour faire fortune ou consolider leur réussite antérieure. Cet enrichissement se traduit par la construction de nouveaux moulins à côté des anciens (on distinge parfois le "vieux moulin" du "moulin neuf", ou encore le "grand moulin" du "petit moulin"), ou bien par la reconstruction d'anciens moulins. L'on passe alors d'édifices en simples moellons à des tourelles en pierre de taille, matériau plus noble, donc plus onéreux. Plus que jamais, le moulin est un bien précieux pour le meunier qui le transmet à ses héritiers. La construction d'un moulin supplémentaire est parfois motivée par la volonté de doter tout autant un fils cadet que son aîné. Un tel acte constitue même la dot offerte par leurs parents à Jacques Pinardeau et Marie Vieulle pour leur mariage en 1796 : c'est probablement à la suite de ces noces qu'a été édifié le moulin de la Champagne, à Floirac.

Parfois, une date inscrite sur le moulin (souvent sur le linteau ou l'encadrement d'une porte) permet de confirmer cette datation : la date 1804 est ainsi gravée sur le montant de la porte du moulin de la Bertonnière, à Saint-Dizant-du-Gua, tout comme la date 1818 au moulin de la Sablière, à Floirac, et la date 1820 au moulin de la Croix, à Saint-Thomas-de-Cônac. Plus précise encore, une inscription portée sur le moulin du Roc ou de la Parée, à Saint-Thomas-de-Cônac, indique qu'il a été achevé le 29 janvier 1798. En tout état de cause, la quasi totalité des moulins à vent recensés figurent sur les plans du cadastre établi dans les années 1830. Le cadastre indique qu'à cette époque, on ne dénombre pas moins de 123 moulins à vent sur la totalité des rives saintongeaises de l'estuaire (21 à Mortagne, 18 à Saint-Fort-sur-Gironde, 7 à Saint-Georges-de-Didonne, 3 à Talmont...). Le département de la Charente-Inférieure (future Charente-Maritime), très venteux, est alors l'un des plus denses en moulins à vent. Un seul moulin à vent est postérieur à 1850 : le moulin de Chauchamp, à Vaux-sur-Mer, a été édifié en 1851 en réutilisant, pierre par pierre mais parfois dans le désordre, un autre moulin plus ancien provenant, dit-on, de la région de Marennes.

A la même époque, beaucoup de moulins connaissent une évolution technique avec l'adoption d'un nouveau système inventé dans les années 1840 par Pierre Berton, comprenant des ailes en bois à la place des traditionnelles ailes en toile, propices à se déchirer. Chaque "aile Berton" est composée de planches en sapin, donc fragiles mais imputrécibles. Ces planches, superposées, coulissent de manière à ce que l'aile s'ouvre plus ou moins en fonction de la prise au vent que l'on veut donner. Cette ouverture est actionnée par un système de broches extérieures, fixées à la base des ailes, et actionnées depuis l'intérieur. Ce système est encore visible au moulin de la Sablière, à Floirac, et au moulin de la Croix, à Saint-Thomas-de-Cônac.

Durant la seconde moitié du 19e siècle, le déclin des moulins à vent est aussi rapide que l'a été leur développement quelques décennies plus tôt. Le caractère incertain de l'activité de meunerie, très liée aux caprices du vent, pèse peu face aux promesses de fortune de la viticulture, en plein essor dans les années 1850-1880. Beaucoup de meuniers choisissent alors de se reconvertir dans la vigne. A Saint-Fort-sur-Gironde par exemple, le moulin de Faure est désaffecté et même arrasé dès 1856. Par ailleurs, les premières minoteries industrielles, notamment celles de Mortagne, concurrencent fortement les vieux moulins à vent. L'une d'elles est même fondée en 1864 par Pierre Vérat, meunier au moulin de la Charmille, qui rachète tous les moulins voisins pour éliminer la concurrence envers son nouvel établissement.

Les uns après les autres, les moulins perdent leurs ailes et même leurs toits, de manière à ne plus être considérés comme des édifices imposables. Rares sont ceux dont l'activité perdure après 1900, à l'image du moulin de la Sablière, à Floirac, exploité jusqu'en 1944. Certains moulins sont réutilisés en belvédère d'où le regard embrasse le panorama jusqu'à l'estuaire. Tel est le cas du moulin de la Tour de Poupot, à Saint-Fort-sur-Gironde, transformé en 1880 dans le goût néo-médiéval de l'époque par Ferdinand Petit, directeur de la minoterie de Port-Maubert. La tour était très appréciée, dit-on, par son frère, Mgr Fulbert Petit, archevêque de Besançon, qui, lorsqu'il séjournait à Saint-Fort, aimait célébrer des offices dans la chapelle aménagée au premier étage.

Un patrimoine vivant

A la fin du 20e siècle, quelques moulins ont fait l'objet d'une restauration comme le moulin de la Croix, à Saint-Thomas-de-Cônac, protégé au titre des monuments historiques en 1996, le moulin de la Sablière, restauré en 1999, et son voisin, le moulin de la Champagne, en 2002. Ces actions permettent de faire vivre un patrimoine et des savoir-faire, et de mieux comprendre comment fonctionnaient tous les autres moulins avant leur abandon à la fin du 19e siècle. Ce fonctionnement est particulièrement visible au moulin de la Sablière.

La quasi-totalité des moulins à vent, en état ou en ruines, comprennent une tourelle, en moellons ou en pierre de taille, édifiée sur une petite butte de terre ou "cerne". Parfois, le moulin comprend une salle basse aménagée à l'intérieur du cerne et en sous-sol ; un couloir permet alors de relier cette salle à l'extérieur pour évacuer les sacs de farine. Au-dessus de la tourelle, le toit, en tuiles plates ou en bardeaux de bois, peut parfois pivoter de manière à mieux orienter les ailes en fonction du sens et de la force du vent. Un long morceau de bois, le "guivre", relie le toit au sol. Equipé de commandes et de freins, il permet de faire tourner le toit, celui-ci étant posé sur un système circulaire, la "sablière".

Le mouvement des ailes entraîné par le vent est transmis à l'axe des ailes, ou "arbre". Il est possible de contraindre ce mouvement par un mécanisme de freinage. A cet arbre est fixée une roue, le "rouet", munie de dents en bois dur, les "alluchons", de manière à entraîner au-dessous une pièce cylindrique, la "lanterne". Cette dernière est fixée à un axe qui descend jusqu'à deux meules superposées. La meule supérieure, appelée "meule tournante", tourne alors sur la meule inférieure, fixe, la "meule gisante", en silex. Au-dessus des meules, les grains sont déversés dans un entonnoir ou "trémie". De là, ils glissent dans un récipient en bois, "l'augette", qui les fait tomber dans le trou central de la meule tournante, "l'oeillard". Fixés à l'axe, entre les deux meules, de petits balais en jonc régulent cet approvisionnement. La meule gisante est creusée de sillons qui, au fur et à mesure de l'opération, par la force centrifuge, amènent la mouture vers l'extérieur de la meule où elle est collectée. L'écart entre les deux meules ainsi que la vitesse d'approvisionnement par l'augette se règlent automatiquement, en fonction de la vitesse du vent, par l'intermédiaire d'un régulateur Watt. Cet appareil est constitué de sphères métalliques qui s'élèvent dès que les ailes tournent trop vite sous l'action du vent. Une corde incline alors l'augette afin qu'elle apporte davantage de grains, et augmente légèrement l'écartement entre les meules. Ce réglage permet d'éviter un échauffement de la mouture, source d'incendie. Ainsi obtenue, la mouture passe dans un tamis rotatif, le "blutoir", pour être affinée. La farine, de différentes grosseurs et qualités, tombe alors dans des sacs, au rez-de-chaussée, et peut ainsi être évacuée.

Utiliser la force de l'eau

Au sud de Barzan et de Chenac-Saint-Seurin-d’Uzet, les petits cours d'eau perpendiculaires à l'estuaire de la Gironde ont été propices, dès le Moyen Age, à l'établissement de moulins à eau. 10 d'entre eux ont été repérés au cours de l'enquête d'inventaire. Certains sont situés près de l'embouchure de ces rivières, sur leurs chenaux, et ont pu même fonctionner un temps grâce à la force de la marée. Tel est le cas pour le moulin des Monards, à Chenac-Saint-Seurin-d'Uzet, mentionné dès 1520, transformé en minoterie dans les années 1860 (elle a cessé de fonctionner en 1970) ; et pour le moulin du port de Saint-Seurin-d'Uzet, lui-aussi devenu minoterie en 1876. Mentionné en 1565, le moulin à eau de Maubert, à Saint-Fort-sur-Gironde, se trouvait lui-aussi à cette époque au plus près des bords de l'estuaire, qui ont depuis beaucoup reculé.

D'autres moulins sont ou étaient situés plus en amont sur les rivières, tirant profit du courant de l'eau que l'on imagine alors bien plus important qu'il ne l'est aujourd'hui. A Chenac-Saint-Seurin-d’Uzet, le moulin de Font Garnier était alimenté par la source du même nom. A Saint-Dizant-du-Gua, le moulin de Graveteau se trouve sur un des nombreux cours d'eau qui serpentent autour du château de Beaulon. A Saint-Sorlin-de-Cônac, un moulin à eau était établi sur la petite rivière la Fragnée mais a depuis disparu.

Parmi ces édifices, un seul a conservé son mécanisme, au moins en partie, et son dispositif de régulation de l'eau (vanne, bief de décharge). Mentionné pour la première fois en 1579, le moulin de l'Ecuelle, à Saint-Dizant-du-Gua, est établi sur la rivière du Taillon. Il occupe une partie du soubassement de la maison du meunier et a conservé sa roue, de sept mètres de diamètre, les engrenages en métal, et les deux coffres pour réceptionner la farine.

Périodes

Principale : Temps modernes, Epoque contemporaine

L'inventaire du patrimoine mené sur les rives saintongeaises de l'estuaire de la Gironde a permis d'identifier 66 moulins (10 à eau et 56 à vent), à l'état de simples vestiges ou, pour quelques-uns, restaurés au cours des dernières décennies.

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